Entretien avec Jovan Kurbalija, Directeur de la DiploFoundation et à la tête de la Geneva Internet Platform | Mai 2014

La Geneva Internet Platform (GIP) a été inaugurée le 8 avril 2014 à l'occasion d'une discussion dynamique et engagée à propos des politiques numériques à l'échelle mondiale. Cet événement a aussi compris un salon consacré à la gouvernance d'Internet, présentant, entre autres, le premier distributeur automatique de Bitcoin. La GIP est une initiative des autorités suisses, animée par la DiploFoundation. Jovan Kurbalija, directeur de DiploFoundation, nous en dit plus.

Mai 2014

Pourquoi la GIP a-t-elle été créée?

La réponse commence avec l'acronyme même de la GIP : la Plateforme genevoise pour la gouvernance de l'internet vise à encourager le dialogue, la discussion et la réflexion sur la gouvernance mondiale de l'Internet dans la ville où de nombreuses organisations internationales impliquées dans la définition des politiques ont élu domicile. En tant que cité internationale hébergeant le Siège européen des Nations Unies, Genève ne pouvait rester simple spectatrice de l'évolution de ce domaine crucial. L'Internet étant intégré à tous les aspects de notre vie quotidienne, il est vital au fonctionnement même de la société – par exemple, 20% des communications familiales ont lieu en ligne. De même, contribuant à hauteur de 20% à la croissance du PIB dans les pays de l'OCDE, l'Internet constitue l'épine dorsale de l'économie mondiale. La croissance et la stabilité de l'Internet dépendent d'une gouvernance efficace. La GIP a été créée afin de contribuer au futur développement de la gouvernance de l'Internet en impliquant les acteurs numériques, en encourageant la gouvernance numérique et en effectuant le suivi des politiques numériques. La GIP fournit au débat numérique un terrain neutre et ouvert.

Quel est le rôle de la GIP?

Le plus urgent, pour la GIP, c'est d'aider les divers acteurs basés à Genève à comprendre ce qui se passe, qui fait quoi, et comment ils peuvent faire entendre leur voix dans le débat mondial sur la gouvernance de l'Internet. Il s'agit aussi de promouvoir Genève sur la carte de l'Internet, et de mettre en place des liens avec les organisations internationales. Cette ville possède un grand potentiel pour constituer l'une des principales bases de discussion et de négociation sur l'avenir de la gouvernance mondiale de l'Internet. Dès que l'on parle de ce domaine, il existe un besoin d'une meilleure compréhension. Tous les principaux préfixes sont ainsi utilisés comme s'ils étaient interchangeables : qu'il s'agisse de numérique, de cyber ou de net, que l'on parle d'e-commerce, de cybercriminalité, de fracture numérique, d'argent virtuel ou de NETmundial, on parle de la même chose – l'impact de l'Internet sur la société. Le débat se déplace sur le terrain de la complexité des interactions en regard des aspects technologiques, juridiques, économiques et sociaux des politiques numériques. Il existe aujourd'hui plus d'une centaine de lieux différents où l'on aborde les questions de gouvernance de l'Internet. Il existe de nombreuses conférences, de nombreux processus politiques. Même les acteurs les plus importants, qui sont pourvus d'un appareil administratif considérable, ne peuvent surveiller toute cette évolution. L'un des risques de la gouvernance actuelle de l'Internet est que les gens soient perdus, qu'ils ne puissent saisir ce qui se passe. Le rôle le plus immédiat de la GIP est d'aider les différents acteurs à comprendre la logique de ce qui se passe en termes de politiques numériques, sans trop simplifier, naturellement, mais en présentant plutôt cette information aux décideurs politiques d'une manière compréhensible.

Quelles seront les principales activités de la GIP?

Les activités de la GIP sont pour l'essentiel basées sur trois piliers : une plateforme physique à Genève, une plateforme en ligne et un laboratoire de dialogue (qui sera développé ultérieurement). La première série d'activités de la GIP a déjà commencé, au cours des deux derniers mois. Les activités in situ, à Genève, comprennent un cours à la demande sur la gouvernance de l'Internet pour les missions permanentes locales, la publication d'un livre, des tables rondes et des séances d'information à l'attention des Missions permanentes. Parmi les activités en ligne, on trouve des webinaires mensuels organisés le premier mardi de chaque mois et au cours desquels la communauté internationale peut obtenir un résumé de ce qui s'est passé au cours du mois écoulé en matière de gouvernance de l'Internet. La GIP a aussi largement couvert le NETmundial, avec des séances préparatoires en ligne, des comptes rendus de l'événement, et des discussions de suivi (allez voir notre site !). En tant qu'observatoire, nous avons fourni une analyse textuelle de divers documents préparés pour le NETmundial. En somme, la GIP s'efforce d'assurer une présence dans les événements de haut niveau liés à la gouvernance de l'Internet ; entre autres, la réunion de haut niveau du Sommet mondial sur la société de l'information, le SMSI+10. En septembre prochain, nous organiserons la Conférence de Genève sur l'Internet avec les autorités suisses et le Centre pour le Contrôle démocratique des forces armées (DCAF), qui engagera Genève et les acteurs mondiaux dans une discussion sur l'avenir de la gouvernance de l'Internet. Parallèlement à nos formations et événements réguliers, nous nous concentrerons aussi sur les questions émergentes. Le 13 juin 2014, nous animerons un événement au cours duquel seront discutés les aspects politiques, économiques et légaux du développement du Bitcoin. Sont également en préparation quelques activités liant Genève et Bruxelles aux principaux centres névralgiques de la gouvernance de l'Internet.

Qui sont les partenaires financiers de la GIP?

Les partenaires financiers de la GIP sont en fait ceux qui l'ont créée – le Département fédéral des affaires étrangères et l'Office fédéral des communications. En-dehors d'un important appui en nature de la DiploFoundation, le montant annuel de la contribution est inférieur à un demi-million de francs suisses. Le succès des premiers événements que nous avons organisés à Genève nous démontre sans aucun doute possible que la Plateforme genevoise pour la gouvernance de l'Internet a beaucoup d'avenir.

Quels sont vos objectifs pour l'année prochaine?

En termes concrets – au-delà de l'objectif général consistant à sensibiliser, renforcer les capacités et fournir une plateforme aux discussions liées à la gouvernance de l'Internet – nous prévoyons de continuer à former les diplomates locaux ainsi que les diplomates qui doivent arriver en poste à Genève. Nous allons aussi organiser deux événements de haut niveau (comme la Conférence de Genève sur l'Internet) qui montreront au monde entier la ville et le regard qu'elle porte sur la gouvernance de l'Internet, et mener des briefings sur mesure, très spécifiques. Nous espérons réaliser le potentiel de la plateforme en faisant de la GIP le support neutre des discussions de Genève autour de la gouvernance de l'Internet.

Qui peut participer à la plateforme?

La GIP est ouverte à tous les acteurs impliqués ou concernés par les développements en termes de gouvernance et politiques de l'Internet. Il faut faciliter une convergence accrue entre les acteurs basés à Genève. Les réactions que nous avons enregistrées jusqu'à présent sont très encourageantes. En trois mois d'activité, nous avons enregistré près de 600 personnes qui, à titre individuel ou officiel, ont participé à nos activités ou ont manifesté leur intérêt à suivre le travail de la GIP. Mais dans notre cas, la levée de fonds est délicate car nous ne pouvons accepter de conditions limitatives.

Comment comptez-vous atteindre les acteurs qui ne sont pas basés à Genève?

Nous les impliquons à travers des activités et initiatives concrètes. Par exemple, lors des préparations pour le NETmundial à São Paulo, la GIP a fourni des séances d'information et des webinaires avec le principal groupe d'experts brésilien FGV (voir www.fgv.br). Dans le cadre du suivi, nous sommes en train de discuter des modalités d'implication du FGV dans nos activités basées à Genève, y compris des bourses de recherche auprès de la GIP. De nombreuses discussions parallèles sont menées avec les acteurs du monde entier. En février de cette année, avec l'aide du Canton de Genève, la GIP a pu fournir une introduction à la ville de Genève et aux politiques numériques à un groupe de 80 élèves et professionnels du Collège de l'Europe, un établissement d'enseignement de premier plan pour les futurs diplomates européens. La GIP a aussi prévu de travailler avec des centres de recherches et des groupes d'experts basés aux Etats-Unis et en Europe. Afin d'assurer une diversité dans les opinions, elle impliquera des chercheurs et décideurs politiques issus de pays et régions qui sont souvent absents du débat politique. A la mi-juin par exemple, nous animerons un événement sur l'Internet à destination des petits états insulaires, avec la participation de 10 fonctionnaires venant des îles du Pacifique.

En quoi Genève constitue-t-elle un emplacement de choix pour lancer une telle plateforme?

Pour se rendre compte de la pertinence de Genève concernant les politiques d'Internet, il suffit de se promener au dernier étage de l'immeuble de l'Organisation météorologique mondiale où se trouve les bureaux de la GIP. Dans un rayon de quelques kilomètres, on aperçoit les immeubles qui abritent les principaux acteurs des politiques numériques. A l'Organisation mondiale du commerce, on parle e-commerce ; au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, on discute de la protection de la vie privée sur Internet ; l'Union internationale des télécommunications et l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle s'intéressent à leur domaine respectif ; les organisations hébergées par l'Internet Society et l'Organisation internationale de normalisation mettent au point des normes ; etc. D'après une étude que nous avons menée récemment, plus de 50% des processus d'élaboration des politiques concernant l'Internet ont lieu à Genève. Pour Genève, le potentiel principal réside dans le traitement global de la gouvernance de l'Internet. Les organisations basées à Genève abordent l'Internet sous les angles technique, juridique, économique et sécuritaire ainsi que du point de vue du développement et des droits de l'homme. Il s'agit là d'un atout unique en son genre pour Genève qui peut ainsi devenir une véritable plaque tournante du débat numérique. La rade se transformerait ainsi en une baie européenne : un endroit où les innovations sont encouragées, où les politiques sont discutées, et où les innovateurs, les experts et les décideurs se rencontrent à intervalles réguliers. La position de Genève est encore renforcée par le rôle unique que joue la Suisse dans les politiques numériques mondiales. En effet, depuis la tenue à Genève du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) en 2003, la Suisse a été l'un des plus importants facilitateurs d'une approche ouverte et multipartenaires de la gouvernance de l'Internet. La Suisse a aussi soutenu le Forum sur la gouvernance de l'Internet et aidé de nombreux petits pays et pays en développement à renforcer leurs capacités pour participer à la gouvernance mondiale de l'Internet. De plus, le système politique suisse d'inclusion de tous, avec son approche ascendante, est une véritable inspiration pour le futur développement de la gouvernance de l'Internet. Le Parlement suisse a donné beaucoup d'importance aux politiques numériques ; derrière les premières discussions sur la GIP, on trouve Ruedi Noser, qui est influent au Parlement en la matière, et Walter Steinlin, président de la Commission suisse pour la technologie et l'innovation. 

 

 

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