Entretien avec Mario Boccucci, nouveau directeur du Programme ONU-REDD | Avril 2014
Avril 2014
Qu'est-ce qu'ONU-REDD ?
Le Programme ONU-REDD (Programme de collaboration des Nations Unies sur la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement) est issu de la collaboration de trois agences onusiennes, à savoir l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Il vise à aider les pays y participant à réduire leurs émissions de carbone causés par la déforestation, tout en restant sur la voie d'un développement durable. Le Programme ONU-REDD a été créé en 2008. Nous fêtons donc ses cinq ans cette année. Nos principaux partenaires financiers sont la Norvège, la Commission européenne, le Japon, l'Espagne, le Danemark et le Luxembourg.
Pourquoi avoir créé le Programme ONU-REDD ?
La déforestation constitue l'une des raisons principales des changements climatiques. Les émissions de carbone résultant de la déforestation représentent près de 20% du total des émissions de carbone. Chaque année, environ 13 millions d'hectares de forêts sont coupés et tout le carbone contenu dans ces forêts est alors libéré dans l'atmosphère. Comme le Rapport Stern sur l'économie du changement climatique l'a souligné en 2006, la solution au problème des rejets de carbone dans l'atmosphère est multiforme. Toutefois, la réduction de la déforestation peut permettre d'obtenir des résultats rapides (et nous avons besoin de résultats très rapidement).
Pour cela, il faut comprendre les raisons qui conduisent à la déforestation. Traditionnellement, lorsqu'un pays se développe, ses forêts tendront à diminuer et une fois développé, ses forêts croîtront à nouveau (ce phénomène est connu sous le nom de « courbe de Kuznets de la déforestation »). Cependant, nous ne pouvons nous offrir le luxe de suivre ce processus au niveau mondial, et ce principalement pour deux raisons : premièrement, parce que l'écosystème des forêts tropicales est beaucoup plus vulnérable que celui des forêts de l'hémisphère Nord. Une fois que ces arbres sont abattus, cela prend beaucoup plus de temps pour que la forêt retrouve son état initial, et le risque d'érosion est beaucoup plus élevé. Deuxièmement, la destruction de ces forêts conduira à des rejets massifs de carbone dans l'atmosphère qui mettront en péril les efforts menés pour atténuer les changements climatiques.
Pour limiter la déforestation, il faut mettre en place des incitations, afin de compenser le développement économique et social qui en aurait été tiré. En mettant les bonnes incitations en place, il est réellement possible d'atteindre à la fois les deux objectifs que sont l'atténuation du changement climatique et le développement durable. Les Nations Unies ont ainsi lancé le Programme ONU-REDD pour en savoir plus sur ces incitations, commencer à les tester, et voir comment les mettre en place. Comment mesurer ? Comment développer une stratégie qui réduise la déforestation tout en conservant une croissance économique solide dans le pays considéré ? Comment mettre en œuvre cette stratégie de manière équitable, en s'assurant que les communautés autochtones puissent donner un consentement préalable en connaissance de cause et où la société civile et le secteur privé participent et travaillent de concert avec le gouvernement ? Le Programme ONU-REDD est là pour faire en sorte que les pays soient prêts à prendre part au nouveau régime qui est en cours d'établissement, et au travers duquel des paiements basés sur les performances viendront récompenser les limites mises à la déforestation.
Concrètement, quelles sont les activités du Programme ONU-REDD ?
Nous avons actuellement 46 pays partenaires parmi lesquels une vingtaine reçoivent des financements, à travers des programmes nationaux et des soutiens ciblés. Des programmes nationaux dotés d'importants financements se sont développés dans seize pays. Nous opérons à deux niveaux : national et mondial. Dans seize pays, nous développons, en partenariat avec chaque pays, un programme national (habituellement, autour de 4 millions de dollars pour une période de 2 à 5 ans) visant à permettre au pays d'être en mesure de réduire la déforestation et la dégradation forestière et les émissions de de CO² qui vont avec, et à être rétribué à cet effet. Les programmes nationaux sont conçus conjointement par les agences des Nations Unies participant au Programme ONU-REDD et les gouvernements nationaux. Ils sont développés en fonction des caractéristiques et problématiques propres à chaque pays dans le domaine de la déforestation et de la dégradation des forêts. Selon nos recommandations, les programmes nationaux devraient être développés et mis en œuvre en consultation et avec la participation de toutes les parties prenantes. Les Nations Unies ne sont que le facilitateur de ce processus.
L'organe directeur du Programme ONU-REDD se compose de représentants des pays donateurs et récipiendaires, de la société civile (y compris des représentants des peuples indigènes) et des agences des Nations Unies concernées. Il est chargé de l'allocation des fonds. ONU-REDD est un mécanisme de soutien basé sur les demandes des pays partenaires.
Au niveau mondial, nous favorisons le dialogue politique, diffusons le savoir et donnons forme au débat mondial portant sur ce que nous mettons en place dans les pays (que ce soit au niveau de la gouvernance, du suivi, de l'engagement du secteur privé, etc.). Le Programme ONU-REDD a démontré qu'il est possible de stopper la déforestation tout en poursuivant sur le chemin du développement durable à l'échelle locale (nous avons de tels exemples en Indonésie, au Viet Nam ou en République démocratique du Congo). La question est de savoir comment nous pouvons changer d'échelle à l'intérieur d'un pays mais aussi au niveau international. C'est à ce niveau-là que la mise en place du Fonds vert pour le climat est fondamentale. Le Fonds devrait disposer des milliards de dollars qui seront nécessaires pour déclencher le processus d'évolution qui poussera le secteur privé à s'engager dans la voie d'une gestion durable du territoire. Le Programme ONU-REDD devra jouer le rôle de facilitateur afin de garantir que ces financements importants soient gérés de manière efficace.
Il faut garder à l'esprit que le paradigme économique actuellement à l'œuvre génère d'énormes revenus et tire des bénéfices colossaux de la déforestation. Il faut donc non seulement changer les comportements mais aussi le système économique sous-jacent. Cela complique grandement la tâche au vu de l'horizon temporel très proche qui est le nôtre.
Vous avez mentionné qu'ONU-REDD a été fondé et est gouverné par trois agences (FAO, PNUD et PNUE). Comment cela fonctionne-t-il ?
Le Programme ONU-REDD est assez unique et constitue un véritable exemple de mise en œuvre de l'initiative « Unis dans l'action ». Ce secrétariat interagences permet une mise en œuvre intégrée du Programme. Nous sommes un bon exemple de ce qu'il faut faire pour fonctionner de cette manière, et des fruits qu'on en retire. Cela n'a pas été sans difficultés mais je pense que nous démontrons aujourd'hui que trois grandes agences peuvent travailler ensemble et être réellement unies dans l'action. Et une fois que c'est en place, il est possible d'intervenir dans un pays en fournissant un service intégré. C'est ce que les Etats ont toujours demandé au système des Nations Unies.
Combien de personnes travaillent au sein d'ONU-REDD ?
Nous avons une quinzaine de collaborateurs au sein du Secrétariat ici à Genève et une équipe plus large d'une centaine d'experts et de collaborateurs dans les pays d'intervention et aux sièges des agences partenaires.
Comment se passe un jour de travail type au Programme ONU-REDD ?
C'est un travail intense et enrichissant. Dans mon travail, je soutien le Conseil d'orientation et facilite son travail sur le plan normatif. Une grande partie de mon travail consiste aussi à faciliter la coordination entre les agences. Sur une journée type, je communique tôt le matin avec des collègues de la région Asie-Pacifique, puis avec des collègues en Afrique et au PNUE à Nairobi ainsi qu'à la FAO à Rome, et finalement avec des collègues en Amérique latine et du PNUD à New York. Habituellement, une fois par semaine, autour de 14-15h ici à Genève, tous les membres du groupe de gestion du Programme basés à Nairobi, Rome et New York se réunissent en téléconférence.
Nous réalisons aussi de nombreux contrôles de qualité et de suivi de ce qui se fait sur le terrain, en essayant de résoudre les problèmes qui pourraient surgir. Nos collaborateurs vont donc régulièrement en mission sur le terrain. Donc finalement, nous faisons un mélange de travail mondial et de soutien national. Genève constitue un bon endroit pour cela car je ne dois pas me lever trop tôt le matin pour parler avec des gens à Djakarta ni me coucher trop tard pour communiquer avec des gens vivant au Panama. Les télécommunications sont de très grande qualité ici à Genève. Enfin, être basés à Genève nous donne un accès rapide à nos donateurs, qui sont pour la plupart situés en Europe.
Quelle est votre priorité pour les cinq prochaines années ?
Durant ces cinq premières années, nous avons démontré que REDD+ est une option crédible sur le plan opérationnel pour atténuer les changements climatiques et favoriser un développement durable. Nous disposons aujourd'hui d'une masse critique de soutien et de compréhension de ce fait, et de plus en plus de pays se préparent à mettre en place des stratégies REDD+. Donc pour les cinq prochaines années, nous voulons passer à la phase suivante : de la préparation à la mise en œuvre à grande échelle. Nous avons des exemples de cas de réduction massive de la déforestation, comme au Brésil ou en Indonésie, et nous pensons que les connaissances et l'expérience que nous avons peuvent être transposées à grande échelle dans un certain nombre d'autres pays. C'est notre prochain défi.
Depuis 2009, le changement climatique semble avoir été éclipsé par la crise économique et sociale mondiale. Cela a-t-il une incidence sur votre travail et vos perspectives ?
Il est clair que la crise affecte les liquidités disponibles pour la coopération en faveur du développement mais jusqu'à présent, cela n'a pas eu d'incidence sur notre accès aux financements et aux ressources. L'atténuation des changements climatiques et le développement durable restent une priorité pour nombre de donateurs clés. REDD est toujours considéré comme disposant d'un réel potentiel. Le Programme ONU-REDD a réussi à prouver l'utilité de la stratégie REDD+ et de sa pertinence. Il est clair que REDD ne constitue qu'une petite partie des dynamiques multilatérales internationales et de développement durable, mais je suis convaincu que le Programme ONU-REDD peut véritablement être le déclencheur de bien plus grandes transformations en termes de développement durable et de Nations Unies « unies dans l'action ».
Qu'est-ce qui vous a amené à la tête du Programme ONU-REDD ?
J'ai toujours travaillé au sein d'organisations multilatérales. J'ai débuté il y a vingt ans, à la FAO à Rome. J'ai ensuite travaillé pour la Commission européenne, pour la Banque mondiale, et finalement, pour les Nations Unies depuis 2008. Je suis un véritable fonctionnaire international. Je crois à l'internationalisme. Il existe certes de nombreux autres instruments pour faire de cette planète un meilleur endroit où vivre, mais je suis convaincu que les institutions internationales jouent un rôle fondamental. J'ai toujours travaillé sur des questions environnementales et relatives au territoire, et la transition vers une gestion durable du territoire est ce qui a motivé mon travail et mes études. Je suis réellement enthousiasmé par l'occasion de démontrer, à l'aide du Programme ONU-REDD, qu'il est possible de limiter la déforestation tout en empruntant la voie d'un développement durable, de mettre en œuvre cette stratégie et d'aboutir à un point d'inflexion ; tout ça dans un laps de temps me permettant de l'influencer, de le soutenir et d'en voir les résultats.