Entretien avec M. Antoine Marguier, chef de l'Orchestre des Nations Unies | Novembre 2015

Le 29 novembre prochain au Victoria Hall, Antoine Marguier dirigera l'Orchestre des Nations Unies et la violoncelliste invitée, Camille Thomas. Ce concert sera consacré à la musique romantique et aux compositeurs Piotr Illitch Tchaikovski et Robert Schuman. Entretien avec ce chef d'orchestre qui est également le co-fondateur et le directeur musical de l'Orchestre des Nations Unies.

 


Courtesy Antoine Marguier

Antoine Marguier, vous avez joué 17 ans à l'OSR en tant que clarinettiste, avant de vous former à la direction d'orchestre. Depuis vous avez eu sous votre baguette plusieurs orchestres de premier plan. Qu'est-ce qui vous a poussé à créer l'Orchestre des Nations Unies.

L'idée m'est venue à la suite d'une série de rencontres que j'ai faites au cours de ma vie. Il se trouve que lorsque j'étais jeune clarinettiste, j'ai eu l'opportunité de me rendre en Inde avec l'Orchestre Français des Jeunes et de rencontrer personnellement Mère Teresa. Cette rencontre m'a beaucoup marqué et je me suis dit que si je pouvais avoir une action bénéfique par l'entremise de la musique, je le ferai. Par ailleurs, installé à Genève depuis plus d'une vingtaine d'années, je connais de nombreux musiciens très talentueux qui ont souvent suivi des études supérieures de musique mais qui, au moment du choix professionnel, se sont dirigés vers d'autres métiers, notamment en lien avec la Genève internationale.
Ces musiciens font preuve d'une motivation extraordinaire et les faire jouer dans un orchestre m'intéressait beaucoup. Vous savez, un orchestre d'amateurs, ça ne signifie pas que l'orchestre est moins bon, cela veut simplement dire qu'il s'agit d'un orchestre qui aime jouer. Les musiciens amateurs jouent peut-être cinq fois par an, mais lorsqu'ils jouent, ils se donnent au maximum.
L'idée de l'orchestre des Nations Unies m'est donc venue en 2009. J'en ai rapidement parlé à Martine Coppens qui est une grande amie et à nous deux nous avons cofondé l'Orchestre des Nations Unies. Il a ensuite fallu deux ans pour mettre sur pied la structure et peaufiner le concept. Nous avions même un engagement pour un premier concert avant d'avoir les musiciens. Lorsque nous avons lancé un appel pour trouver des musiciens dans les organisations internationales, nous avons reçu une centaine de candidatures dont plusieurs harpes, des pianos, des chanteurs (rires). Sur les quatre-vingt musiciens entendus, trente ont été retenus pour créer un orchestre de chambre.
Je dois dire qu'il y a un moment de ma vie que je n'oublierai jamais! Entre les auditions et la première répétition, il s'est passé une année. Les musiciens étaient prévenus de ce délai. Mais pour des gens qui voyagent beaucoup, une année c'est long, très long. Le soir de la première répétition, Martine Coppens et moi avons dû attendre un moment sans savoir si quelqu'un viendrait ... puis le premier musicien est arrivé, puis deux, puis trois... Ça s'est passé comme dans un film. Quel soulagement! Et maintenant, on peut vraiment dire que nous sommes une grande famille.

Quel est le concept derrière l'orchestre?

Le concept est simple: il s'agit d'un orchestre constitué de membres du personnel des Nations Unies et des organisations internationales à Genève auxquels se sont joints également quelques musiciens genevois et de France voisine.
L'objectif de l'orchestre est de jouer pour réunir des fonds qui sont ensuite mis à disposition des organisations internationales et des ONG. En cinq ans, nous avons pu redistribuer à peu près 150'000CHF. Leur choix dépend des circonstances. Le Tsunami qui a touché les côtes du Japon en 2010 ayant eu lieu peu avant notre concert inaugural, nous avons décidé d'en remettre les bénéfices à l'Ambassadeur du Japon. Par la suite, il y a eu la Sierra Leone, Graine de paix, les orphelins de Géorgie, la Syrie et bien d'autres. L'orchestre contribue également à donner une certaine visibilité aux actions de ces organisations lors des concerts et dans les articles que ces événements génèrent.

Parlez-nous des musiciens. Proviennent-ils tous de l'ONUG? Comment sont-ils sélectionnés?

Une bonne moitié des musiciens de l'orchestre travaillent pour l'une ou l'autre des agences onusiennes. Les autres proviennent d'autres organisations internationales ou d'ONG. Une anecdote amusante c'est qu'à un moment donné, le président de Médecins sans frontières jouait dans l'orchestre mais nous l'avons découvert par hasard à la fin de l'un de nos concerts après que Micheline Calmy Rey soit venue le saluer.
Pour la sélection des musiciens, nous ne faisons pas d'audition à proprement parler, Nous rencontrons tous les musiciens intéressés et retenons ceux qui font preuve de qualités musicales mais surtout qui font montre d'une grande motivation. Un musicien qui a envie de jouer et qui se réjouit de participer à un concert sera prêt à travailler dur pour combler ses éventuelles lacunes. Pour lui, le concert revêt une importance particulière qui le motivera dans son travail.

Comment faites-vous avec des musiciens qui, de par leur engagement professionnel sur le terrain, sont amenés à s'absenter de longues périodes de Genève?

C'est effectivement une difficulté car les musiciens vont, viennent, repartent et il faut faire avec. Cela fait partie du challenge. Il y a toutefois un noyau dur d'une vingtaine de personnes qui est là depuis le début. De trente en 2010, nous sommes passés à septante musiciens. Il est vrai que certains d'entre eux sont des gens de terrain et qu'ils devront partir pour des périodes plus ou moins longues en Asie, en Afrique ou ailleurs. L'orchestre fonctionne avec ce mouvement de personnes. Ceci dit, je trouve vraiment remarquable que même dans leurs loisirs, ces personnes continuent à œuvrer pour des causes qui leur tiennent à cœur.

Combien de concerts faites-vous par année et combien de répétitions cela représente-t-il?

Chaque année, nous faisons trois programmes distincts que nous donnons lors de 6 à 8 concerts. Actuellement, un concert représente sept ou huit répétitions. Je suis strict sur la présence aux répétitions mais je préfère en faire peu car nous ne sommes pas un "club du lundi". J'ai une grande exigence de qualité et de professionnalisme. Plus on fait de répétitions, plus on travaille ensemble, moins on travaille seul. Or c'est en travaillant seul qu'on progresse.

Parlez-nous des solistes professionnels qui font la tête d'affiche de vos concerts. Sont-ils rémunérés?

Il n'est pas toujours facile de trouver des solistes, d'abord parce que leur agenda est souvent rempli des années à l'avance; ensuite parce que nous essayons de faire un panachage entre des musiciens bien établis qui viennent pour nous rendre service et de jeunes solistes que nous voulons aider à mettre le pied à l'étrier. En effet, une des vertus de l'orchestre consiste à fonctionner comme un tremplin en faisant jouer des musiciens en début de carrière.
En ce qui concerne Camille Thomas qui sera la tête d'affiche du concert de fin novembre, c'est une jeune musicienne qui a fait un beau parcours ces dernières années. Elle avait joué en trio avec l'Orchestre des Nations Unies, il y a trois ou quatre ans. Cette fois-ci, elle jouera seule avec l'orchestre.
Dans le cas de Khatia Buniatishvili - qui a joué en juin passé pour le 70ème anniversaire de l'ONUG - il s'agit d'une soliste confirmée qui n'a donc plus besoin de ce genre d'aide promotionnelle. Elle a joué bénévolement lors de ce concert dont les bénéfices étaient destinés aux réfugiés syriens par l'entremise de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés.
En ce qui concerne leur rémunération, les solistes sont défrayés, c'est tout. Pour ce qui est de l'argent, c'est comme pour un budget familial, on essaie de ne pas dépenser ce qu'on n'a pas (rires).

L'orchestre a-t-il un répertoire de prédilection?

Nous favorisons les programmes grand public. J'aime beaucoup l'idée de démocratiser la musique classique. Je regrette de constater que le public classique reste encore aujourd'hui un public élitiste. La musique c'est avant tout des vibrations. C'est ce qu'un cœur qui joue va transmettre à un autre cœur qui écoute, c'est un lien entre les gens. Pour ma part, je ne fais pas de distinction entre le classique et d'autres types de musique.

Quel est votre rapport avec les Nations Unies?

Des liens extrêmement privilégiés et étroits existent avec l'office des Nations Unies; notamment, son directeur général, M. Michael Møller, est notre président d'honneur. Il assiste pratiquement à tous nos concerts qui se déroulent sous son haut patronage. Si financièrement, nous sommes indépendants, l'ONUG nous met à disposition une salle pour répéter; ce qui est vraiment très précieux.

Quel est le budget de votre orchestre? Comment vous financez-vous ?

Je ne connais pas le budget précis. Mais ce que je peux vous dire c'est que chaque concert est un challenge. Nous savons que nous devons faire tant d'entrées, ce qui nous permettra d'assurer à l'association caritative un certain montant, une fois les frais payés (location de la salle, etc.) Ensuite nous faisons le nécessaire pour que cela fonctionne. Évidemment c'est assez stressant, notamment parce que nous sommes dans une ville où il y a pléthore d'activités musicales sans qu'il y ait pour autant un public exponentiel.

Quel sera le programme de votre prochain concert? À qui iront les bénéfices?

Cette fois-ci, notre programme se veut une Promenade romantique. Nous jouerons en effet la suite du Lac des Cygnes et les variations rococco de Tchaikovski ainsi que la Symphonie no 4 de Schumann. Quant aux bénéfices, ils iront à l'Appel de Genève, une ONG genevoise au rayonnement international. 

 

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