Chapitre 12: L’Organisation météorologique mondiale. C’est dans l’air!

 

La météo, par fonction, prévoit. Son horizon est l’heure d’après, le jour d’après, la semaine prochaine, les mois et les années qui suivent: l’avenir. La tutelle du futur produit chez les météorologues une aptitude particulière à flairer les mouvements de l’air. Le bâtiment qu’ils se sont donné en 1999 à Genève pour l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est un manifeste d’anticipation. Sa forme, sa matière, ses couleurs illustrent l’apparence de fragilité qui est celle du monde physique annoncé; son économie énergétique témoigne des égards dus aux ressources en voie de raréfaction. Son élégance résulte d’un parti pris de simplicité: l’architecte avait baptisé son projet «Chic Planet». 

Une revanche, peut-être, sur l’austérité du premier bâtiment genevois de l’OMM, inauguré en 1960 à l’avenue Giuseppe Motta: un objet architectural «d’une telle rationalité qu’il prend un aspect caricatural» disaient les critiques, déplorant le renoncement à toute représentativité en faveur des seuls critères fonctionnels (1).

Méconnaissable aujourd’hui, cette construction due à l’architecte moderniste Ernest Martin, avait été commandée par l’Etat de Genève pour loger l’OMM venue de Lausanne en 1951 et provisoirement parquée dans des baraquements de l’avenue de la Paix. Elle entrait dans la conception du domaine bâti autour de la Place des Nations telle que l’avait proposée l’urbaniste André Gutton. Très vite insuffisante, augmentée d’un deuxième bâtiment résolument aussi banal, elle se révéla impropre à tout agrandissement, de sorte qu’en 1990, son remplacement fut demandé et obtenu. Genève offrait un terrain, avenue de la Paix, et Berne des arrangements financiers. 

Le Conseil fédéral n’avait pas de mal à convaincre les chambres d’ouvrir le porte-monnaie. Les conditions de travail étaient devenues infernales dans le vieux bâtiment, les matériels entassés dans les couloirs, les salles de réunions accaparées par les bureaux, les locaux communs en voie de disparition, etc. La Confédération ouvrait un prêt de 79 millions de francs sans intérêt. Avec ses 26 millions de fonds propres, fruits de la vente de son bâtiment (racheté par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle grâce à un prêt confédéral à 3%), l’OMM disposait des 105 millions nécessaires à son nouveau siège (2). 

 

Chapter 12

Une idée de charme sur une parcelle ingrate
© WMO

 

La Suisse saluait le développement de cette organisation née d’une initiative internationale de météorologues en 1873 - l’année de l’explication physique de la pluie. En 1939, elle avait accueilli à Lausanne son petit secrétariat permanent créé en 1928 aux Pays-Bas mais rendu inopérant par l’occupation allemande - les prévisions météo étaient un enjeu dans les opérations militaires. En 1947, les Etats membres avaient décidé de le déplacer à Genève pour rejoindre les autres organisations techniques de l’ONU.

Plus tard, le lancement de satellites et l’invention des supercalculateurs avaient stimulé les sciences de l’atmosphère et abouti à la création en 1964 de la Veille météorologique mondiale. L’OMM se trouvait ainsi au centre d’un réseau de recherches appelé à jouer un rôle croissant dans la formation de la décision politique. Depuis le milieu des années 1980, les problèmes du changement climatique ont franchi le cercle des experts pour déboucher avec fracas sur la scène publique. L’air, l’eau et les températures sont placés sous alarme. La surveillance s’organise. L’OMM a la charge de fournir les indices de dangers. Il lui faut de la place.

Le programme du concours international d’architecture lancé sur invitation en 1992 était un défi: le nouveau siège devait rester aménageable et actuel pendant au moins vingt ans après sa mise en service c’est-à-dire contenir les modalités internes de son agrandissement. Il devait se prêter sans transformation coûteuse aux changements des formes de travail, individuelles ou collectives. Et surtout, il devait minimiser son impact sur l’environnement sans sacrifier le confort de ses usagers.

 

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Avec l’OMC à l’Est et le Palais des Nations à l’Ouest, l’OMM marque la limite Nord du tissu urbain genevois
© WMO

 

Le choix s’est porté sur la proposition de deux architectes de Genève, Rino Brodbeck et Jacques Roulet, anciens élèves puis associés de feu Jean-Marc Lamunière, adeptes, comme lui, de la sobriété. Visuellement, leur bâtiment est simple: un ovale de 120 mètres de long qui relie spatialement d’Ouest en Est le Palais des Nations et le Centre William Rappard au bord du lac, marquant la limite Nord du tissu urbain genevois. Il est flanqué de deux espaces bas, une salle de conférence et une bibliothèque au Sud, un parking souterrain de cinq étages au Nord. La forme ellipsoïdale a été dictée par la configuration de la parcelle, étroite et toute en longueur. Mais un autre souci animait les architectes, inspirés par le spectacle des immeubles de bureaux environnants, rectangles massifs dans lesquels ils n’auraient pas aimé travailler eux-mêmes. «Sept cents places de travail, disaient-ils, c’est 1 680 000 heures de présence par an, cela ne mérite-t-il pas une adaptation à l’évolution culturelle et sociale?» (3).

Aux «bureaux couloirs qui donnent le cafard» (4), les deux architectes ont préféré des espaces de travail «dont la forme engendre une dynamique», qui favorisent «la concentration et la créativité» et «permettent l’épanouissement de l’individu», aspiration affirmée de «la société moderne et démocratique» (5).

 

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Des courbes qui procurent aux usagers l’intimité du cercle 
© WMO


A la fin du XXe siècle, le bien-être au travail n’était plus ce qu’il était au début: la clôture hiérarchique et physique a été supplantée par l’ouverture, la transparence, la mobilité des fonctions, des personnes et de l’information. D’où l’ovale du bâtiment, au lieu du rectangle. La courbe remplace la ligne droite et les angles, elle n’a pas de début et pas de fin, elle est un moment du parcours, elle n’enferme pas. Alignés le long des façades, les bureaux s’ouvrent sur l’espace commun intérieur pensé comme aire de rencontre et d’échange. Leur juxtaposition, dissimulée par la cambrure des couloirs, n’est plus perçue comme une morne enfilade. Elle gagne en urbanité, comme si l’ovale portait en lui une part de l’intimité du cercle. 

 

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Eloge de la minceur 
© WMO

 

Dressé sur huit étages au-dessus du rez-de-chaussée, l’immeuble déguise par sa minceur la réalité de sa masse. Il est léger aux yeux, tant de l’intérieur que de l’extérieur, aérien, «dans le vent». Cette impression est d’abord produite par son enveloppe de verre, finement scandée par des rainures d’acier verticales; par sa couleur, qui se fond dans celle du ciel. Est-ce du bleu ou du vert? Les architectes, trouvant le Conseil exécutif de l’OMM divisé sur le choix à opérer, ont mis une couche de bleu et une couche de vert, portant le désaccord culturel à une heureuse réconciliation esthétique (6).

L’effet de légèreté résulte aussi la technique novatrice de construction. La structure est portée en périphérie par 38 piliers en acier, au centre par 8 piliers en béton armé et dans les zones intermédiaires par les murs en béton armé des locaux de services qui assurent la stabilité de l’ensemble. Les piliers, creux, servent de gaines pour la ventilation qui est presqu’entièrement intégrée à la structure porteuse verticale et horizontale du bâtiment. L’espace n’est pas mangé ou alourdi par de faux plafonds ou faux planchers.

 

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La coursive côté Sud, entre les deux peaux
© WMO

 

Le clou de cette aéro-architecture (7) est son concept énergétique. Pour climatiser un bâtiment de verre exposé Nord- Sud, les ingénieurs du bureau ERTE lui ont donné une deuxième peau isolante qui produit un effet «thermos»: coté Nord, cette deuxième paroi vitrée est fixe, elle sert de bouclier contre la bise froide de l’hiver; côté Sud, elle est formée de d’une succession brise-soleil mobiles qui s’ouvrent et se ferment selon la température. Des coursives séparent les deux peaux sur tout le pourtour, à bonne distance pour éviter un effet de serre.

 

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La façade Nord, un bouclier contre la Bise
© WMO

 

Un puits canadien enfoui dans les fondations épaisses du parking préchauffe et pré-rafraîchit tout le bâtiment grâce à l’énergie fournie par le différentiel de chaleur entre le sol et le sous-sol. Chaque nuit d’été, 10 millions de m3 d’air traversent le bâtiment, évacuant 3 à 4° de chaleur accumulée pendant la journée. La masse thermique se refroidit pendant la nuit dans le sous-sol et crée la fraîcheur nécessaire pour la journée du lendemain. Le système fonctionne à l’inverse quand il fait froid. Il est complété l’hiver par la récupération de la chaleur de l’air vicié et par deux chaudières à gaz. Le contrôle de la température est géré par une centrale météo placé sur le toit. Les éclairages sont pilotés en fonction de la lumière du jour et additionnés de détecteurs de présence (8).

 

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Détail de la façade
© WMO

 

Avant-gardiste lors de son installation, en 1999, ce modèle énergétique a évolué, l’expérience de l’OMM contribuant d’ailleurs à son perfectionnement. La presse et le public ont applaudi les efforts réalisés pour que ce bâtiment, qui plaisait, soit aussi «intelligent». «L’air est le seul matériau que l’on habite», disait le plasticien Yves Klein (9). Il a fallu que l’air se voie pour qu’il puisse être désigné comme «matériau». Pour qu’on le mesure, qu’on l’analyse. Il a fallu des météorologues pour l’objectiver complètement. Et un historien de l’architecture, Cyrille Simonnet, pour lui consacrer sa première biographie, «Brève histoire de l’air».

A la cafétéria de l’OMM, au dernier étage du bâtiment, on habite un air «naturel» fabriqué par des machines «propres». Un air pur, doux, protégé, tandis que défilent les nuages alentour.  On éprouve là, au milieu des météorologues qui calculent les catastrophes à venir, le bonheur de «l’établissement humain comme une pure atmosphère où les murs auraient disparu» (10).

 

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Un bâtiment d’avant-garde, qui a tout de suite plu
© WMO

 

 

(1) Isabelle Charolais, Jean-Marc Lamunière, Michel Nemec, L’architecture à Genève, 1919-1976, Infolio, vol.2, p. 176
(2) Message du Conseil fédéral, 19 septembre 1994
(3) Extraits du rapport du jury, in Ingénieurs et architectes suisses, vol. 121, 1995, cahier 10, p.192-193
(4) Conversation de l’auteur avec Rino Brodbeck
(5) Rapport du jury, op.cit
(6) Rino Brodbeck à l’auteur
(7) Le terme est de Cyrille Simonnet, dans Brève histoire de l’air, Editions Quae, 2014
(8) La description technique du bâtiment est tirée de l’article de Georges Spoehrle et François Joutet, in « Ingénieurs et Architectes suisses » n. 05, 7 mars 2001
(9) Cyrille Simonnet, op.cit
(10) ibidem

 

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