Entretien avec Isabelle Duboule, Responsable du Service protocole à l'aéroport de Genève | Juin 2015

Genève Aéroport est l'un des seuls aéroports au monde, Genève internationale oblige, à disposer d'un Service du protocole.

Chaque année en effet, pas moins de 4'440 personnalités - Chefs d'État, Premiers ministres, ministres et autres chefs de délégations onusiennes, membres de familles royales ou représentants des autorités religieuses - bénéficient de ce service discret, gratuit, et très apprécié.

Isabelle Duboule, à la tête de ce service depuis 8 ans, y travaille depuis 25 ans. Lorsqu'elle nous parle de toutes les personnalités qu'elle a croisées – de Mandela à Lady Di, en passant par la famille royale Thaïlandaise et Aung San Suu Kyi - c'est à se demander si une autre personne sur terre, en dehors de ses collègues, a côtoyé autant de célébrités!

Coordonnant une équipe de 18 personnes travaillant 7 jours sur 7 de 6:00 heure du matin jusqu'à souvent 23:30, Isabelle Duboule nous reçoit dans le salon protocolaire qui donne directement sur le tarmac. Elle nous parle de son travail, des coulisses d'un accueil protocolaire, et des différentes personnalités qui peuvent bénéficier d'un tel service. 

Pourquoi un Service du protocole à l'aéroport de Genève?

Ce service a grandi en même temps que l'aéroport, qui a connu un élan décisif sous l'impulsion de Louis Casaï, Conseiller d'État genevois en charge des travaux publics de 1936 à 1954.Ce dernier a convaincu le Grand Conseil d'investir dans la modernisation de l'aéroport. La piste de l'époque a été agrandie afin que cette plate-forme obtienne le statut d'aéroport international. Il pressentait en effet qu'une telle infrastructure pourrait devenir le moteur du développement d'une Genève internationale.

Ceci a créé un cercle vertueux. La Genève internationale s'est développée grâce à l'aéroport, qui a rapidement bénéficié du développement de la Genève internationale. Le besoin de professionnaliser l'accueil des acteurs de la diplomatie s'est rapidement fait sentir. Notre service a donc grandi en même temps que l'aéroport.

Quel est le rôle de ce Service?

Le service du protocole a pour principale vocation l'accueil de personnalités et de permettre aux ambassadeurs en poste à Genève de venir accueillir et raccompagner leurs ministres ou Chefs d'État jusqu'à la porte de l'avion.

Qui peut en bénéficier?

Ce service s'adresse aux personnalités politiques et à leurs conjoints (Chefs d'État, Chefs de Gouvernement, Ministres, Présidents de parlements), aux Secrétaires et Directeurs-Généraux d'organisations internationales (OI), aux Chefs de représentations diplomatiques lors de leur prise de fonction ou de leur départ définitif, aux Hauts dignitaires religieux, militaires ou du pouvoir judiciaire, aux Souverains et membres de maisons royales et princières, ainsi qu'à d'autres personnalités accueillies par les autorités suisses.

Chaque personnalité transitant par nos salons peut en général être accompagnée d'un maximum de sept collaborateurs, mais nous devons nous astreindre à limiter ce nombre à quatre lors de grandes conférences comme l'Assemblée mondiale de la Santé ou la Conférence internationale du travail.

Le service est-il le même pour tous ou y-a-t-il des différences selon le type de personnalité?

Il existe deux procédures différentes.

La première consiste à accueillir la personnalité au pied de l'avion afin de l'amener à bord d'une de nos limousines jusqu'à notre salon, où elle peut patienter pendant que mes collègues s'occupent des formalités, passeports et bagages. Idem pour les départs : ces ayants-droits bénéficient de notre aide pour toutes les procédures d'embarquement sans sacrifier aux exigences de sécurité auxquelles ils sont astreints, avant qu'ils soient amenés en voiture jusqu'au pied de l'avion.

Cette procédure s'applique indistinctement aux directeurs d'OI et aux personnalités jusqu'au rang de ministre, voire aux Chefs d'État lorsqu'ils voyagent sur un vol de ligne.

L'autre procédure s'applique aux personnalités de haut rang voyageant à bord d'un vol privé. Dans ce cas, nous organisons leur accueil à bord de leurs propres véhicules, qui sont convoyés sur le tarmac jusqu'à l'avion. Dans une telle situation, la personnalité descend de l'avion pour monter dans son véhicule, et sort directement sans passer par nos salons. Si Obama devait par exemple venir à Genève, il sortirait bien évidemment directement de l'aéroport, sous escorte. Ces sorties, dites "sortie tarmac", nécessitent toute une organisation, plus ou moins compliquée selon le nombre de passagers: nous devons identifier les voitures autorisées à entrer sur le tarmac, communiquer les numéros de plaques aux agents de sûreté, voire laisser le service du déminage vérifier que le véhicule n'est pas piégé.

Au-delà de l'accueil qui leur est réservé par les collaboratrices de notre service, les personnalités de haut rang sont également accueillies par un représentant officiel du canton de Genève et de la Confédération helvétique.

Dans tous les cas, ce service est gratuit.

Comment s'organise l'accueil d'une personnalité?

Nous établissons la liste du jour avec les personnalités qui vont passer par notre service. Les personnalités peuvent s'annoncer jusqu'à la veille au soir, mais nous restons flexibles le jour-même, selon le nombre de personnes attendues. Cette liste est distribuée aux personnes concernées: police, douane, compagnies aériennes, personnel au sol, etc.

Certains accueils peuvent se révéler très compliqués et nous travaillons donc en amont avec les missions diplomatiques et le protocole du pays concerné, ainsi que nos partenaires aéroportuaires, le Groupe Diplomatique de la Police genevoise et la Police de la Sécurité Internationale, afin de préparer l'accueil dans ses moindres détails. Cela nécessite souvent de nombreuses réunions, chaque pays ayant des demandes et exigences protocolaires distinctes. J'ai connu des accueils nécessitant jusqu'à quatre réunions préalables de quatre heures chacune!

Lors de l'accueil d'une personnalité, voici quelques années, nous nous sommes fait imposer la présence sur place d'un goûteur, qui a procédé au test de la nourriture embarquée à bord de l'avion, mais aussi celle d'un "goûteur" de kérosène, qui vérifiait la qualité du carburant ! Ce type d'exigence n'est pas facile à satisfaire.

Le Groupe Diplomatique de la Police genevoise assure la mise en place de protections pour certaines personnalités. Dès lors qu'un dispositif de ce type est mis en place, ils décident du nombre de véhicules autorisé à faire partie du convoi, ainsi que de l'endroit où l'avion doit être stationné.

Comment accueillez-vous, par exemple, des personnalités comme John Kerry ou Ban Ki-moon?

John Kerry appartient à ces personnalités qui voyagent à bord d'avions privés et vont sortir directement par le tarmac sans transiter par nos salons. Il bénéficie ainsi d'une protection rapprochée de la police et son convoi est composé de ses propres véhicules, blindés, qui viennent sur le tarmac. C'est très sécurisé. Lorsque Ban Ki-moon vient à Genève, nous lui organisons également une sortie tarmac, et ce quand bien même il voyage sur un vol de ligne.

Collaborez-vous avec les organisations internationales et missions permanentes basées à Genève pour la mise en place de ce service? Comment?

Nous avons une interaction de tous les jours, car nous travaillons essentiellement sur des demandes officielles émanant des missions diplomatiques et des consulats à Genève, des ambassades à Berne, du Département fédéral des Affaires Étrangères (DFAE) ou des OI.

Pour les ambassades, c'est en général le secrétariat de l'ambassadeur qui nous appelle. Il y a des pays avec lesquels nous travaillons plus que d'autres, mais nous les connaissons tous bien. Il arrive souvent que des ambassadeurs qui étaient en poste à Genève durant quatre ans repassent par notre service, ne serait-ce que pour nous saluer lorsqu'ils reviennent à Genève après leur départ. Pas plus tard que la semaine dernière, une ambassadrice africaine qui était en poste à Genève est passée par nos salons en qualité de ministre des Affaires Étrangères : c'était très émouvant pour nous de la revoir et nous étions heureuses qu'elle se souvienne de chacune d'entre nous !

Pour les directeurs d'OI, qui voyagent beaucoup, ce sont généralement leurs secrétaires qui nous appellent. Ce sont d'ailleurs nos plus gros clients. Notre service est très apprécié car il leur permet de n'arriver que 30 à 40 minutes avant le départ du vol, ce qui constitue un gain de temps précieux. Nous répondons au mieux de nos possibilités à leurs attentes, et ils apprécient d'autant plus ces attentions qu'ils voyagent beaucoup!

Voici quelques jours, Peter Piot, l'ancien directeur d'ONUSIDA à qui l'on prête la découverte du virus Ebola, est passé par nos salons car il accompagnait un ministre de la santé. Ancien habitué de notre service, il était heureux de nous revoir ! Nous créons des liens précieux avec certains d'entre eux et sommes parfois tristes de les voir partir.

Quels sont vos autres partenaires?

La Mission permanente de la Suisse et le service du protocole du DFAE sont des partenaires de tout premier plan. Dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien, nous avons beaucoup travaillé avec la Mission suisse afin que des négociateurs qui n'avaient pas le rang de ministres puissent tout de même bénéficier de notre service.

Nous collaborons également avec le service du protocole du canton, le protocole militaire, la police genevoise, en particulier avec la Police de la Sécurité Internationale et le Groupe Diplomatique.

En moyenne, combien d'accueils réalisez-vous chaque jour?

Chaque année, environ 4'400 personnes transitent par notre service. Cela fait une moyenne d'environ 12 accueils par jour.

Dans les faits, il peut y avoir des journées avec plusieurs dizaines d'accueils, lors de grandes conférences, et d'autres avec quelques-uns seulement.

Le dimanche avant l'ouverture de l'Assemblée mondiale de la Santé, ou le jour précédant l'ouverture de la Conférence internationale du travail, jusqu'à 80 ministres transitent par notre service! Nous disposons en propre de quatre véhicules mais, dans ces cas de figure, nous devons recourir à la location de véhicules supplémentaires afin de satisfaire à la demande.

Parmi les personnalités qui transitent par votre service, quelle proportion occupe la Genève internationale?

La Genève internationale constitue notre principal client. Je dirais qu'elle représente environ 90% de notre clientèle. Les autres personnes bénéficiant de nos services sont les familles royales, des pays du Golfe notamment.

Quelle est la journée type de votre service?

Nous démarrons théoriquement notre journée avec le premier avion, soit dès 6:00 du matin, pour la terminer à 23:30, heure du dernier atterrissage. Ceci dit, il n'y a pas de journée type : tout dépend des accueils, des personnalités.

Outre le protocole, mon service s'occupe également des visites de l'aéroport ainsi que d'un desk pour les visiteurs à l'arrivée. Nous partageons donc nos forces entre ces trois pôles.

Un accueil qui vous a particulièrement marqué?

Lorsque j'ai commencé à travailler pour le Service du protocole, j'ai assisté au départ de Mandela. Il avait un petit avion privé et était arrivé sur le tarmac avec sa voiture. J'y étais allée pour assister à son départ, je me tenais un peu un retrait avec une collègue. Il est monté trois marche en direction de l'avion, nous a aperçues, et est redescendu nous serrer la main. C'était très émouvant.

Un moment difficile?

Mon pire souvenir est le retour de Sergio Viera de Mello, victime d'un attentat à Bagdad. Son corps a été rapatrié via Genève Aéroport. En tant que Haut-Commissaire aux droits de l'Homme, il passait souvent par notre service et nous l'appréciions beaucoup. 

 

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